Bleu comme matin

Le premier matin

j’ai étalé ma rabane

Puis la futa puis la serviette

ensuite j’ai fait une boule pas très ronde avec le sac de plage et je me suis installée

Il était huit heures trente,

La mer s’était retirée, les graviers et les algues étaient mouillés. Tout semblait timide : le soleil, le bleu du ciel, les vagues.

Au bout de la digue qui faisait l’angle, un dernier pêcheur ramassait ses affaires.

J’ai écouté l’eau, respiré le sel, pensé à sortir un livre du cabas tressé qui me servait de coussin

mais je n’avais pas envie de faire semblant même si c’était un très bon livre.

Il faut savoir que dès le levé suivant j’étais mieux équipée.

Ainsi j’ai disposé pendant quinze débuts de journées, la rabane le matelas de plage (triptyque rouge orné d’une anse qui se déplie sans difficulté) la futa la serviette assez grande et un drap de bain plié pour s’approcher de la forme d’un oreiller, il est jaune vif et il est neuf.

Ponctuelle, arrivant à l’heure où la mer s’était rétractée depuis peu, sur une rive pas sèche, pas sableuse, pas domestiquée

On s’y rend par un petit chemin avec de chaque côté des maisons, certainement de vacances, elles font rêver le monde

au bout de trois marches de fortune, il faut prendre garde, il n’y a pas de rampe, les galets

qui jonchent le sol après l’escalier, ont, à l’occasion, car la mer le soir le capture puis à l’aube les ramène, des pointes qui peuvent blesser les pieds distraits

@AT Bleu comme matin

La valse d’Amélie

Sans titre, untitled, destituée, innommée, elle lui demande juste ne m’oublie pas.  

Elle veut porter son nom mais c’est improbable. 

Ne m’oublie pas.  

Elle veut le savoir rire, c’est un souhait. Ne m’oublie pas. Et ne te moque pas. Si c’est possible.  

Le 17 juillet à cinq heures, le 16 septembre mais à quelle heure, sans titre, untitled, tricot de mots, tissage d’une maille en nylon, les notes dansent dans l’air du soir, elle a écrit les paroles, il a swingué la musique, c’est une chanson à la chlorophylle. Avoir de l’air. Qui le savait ? Pas eux. Une mélodie remue le poème. Et ça s’anime et ça s’imbrique et ça se mêle. Et ça s’emmêle. Sans titre. Oui, untitled, c’est ce qu’ils sont. En itinérance. Ne posent pas les valises. Ne prononcent pas. Écrivent et jouent de conserve.  

Elle a dit prenons la route. Il a refusé. Je la prends seul. Elle a dit porter ton nom, faut-il forcer ? Il a demandé les mots. Elle a offert, c’est des cadeaux.  

Il faut se méfier des choses compliquées, les verbes qui entêtent, les refrains trop bien brodés, ces choses qu’on oublie tant elles étouffent ceux qui auraient le courage de les retenir. 

Sans titre. Untitled. Aussi simple que le rien, humble comme un tout. Aussi vrai que le regard d’Amélie. Regarder la vie devant soi. Garder ce film en mémoire. Entre elle et lui. Pas entre autres.  

Elle dit sans ta musique il n’y aura pas mes mots, il n’y aura pas mon livre. Ton livre. C’est un voyage si aérien d’écrire.  

Elle dit aujourd’hui je sais que c’est grave. Passer à côté c’est grave. Manquer c’est grave, c’est graver. 

Manquer, c’est graver grave. Et je veux caresser léger. Comme la valse d’Amélie. 

True colors

Beautiful like a rainbow…

  Je ne voulais plus en parler mais j’ai entendu la chanson. Elle remplissait l’espace. Je t’assure que j’ai lutté. J’ai fermé les yeux comme pour empêcher tes vraies couleurs de prendre à nouveau possession de moi.

Il y a ce noir, une profondeur. Si elle devient celle des sentiments je suis parfaitement d’accord. Je plongerai dans le noir, dans la nuit, noire. Approche sensuelle. Aussi.

Il y a dans tes yeux ce camaïeu fabuleux qui décline le vert en soleil à l’infini. C’est ma lumière. Je ne trouverai pas le mot juste.

Il y a tous les bleus qui nous vont bien, entre ciel et mer, pour un dream in blue.

Il y a les ocres d’un feu qui ne demande rien d’autre qu’à être animé, qui sait…

Et le sang bouillon d’un maître d’âme.

Et l’horizon perlé. Nacre. Sublime.

Et.

Au bout du chemin.

Et.

Pendant qu’on chemine.

Il y a…

L’été indien

Nous serions allés. Avec l’idée de la mer et de l’éternité. Récitant Rimbaud.

On aurait fait. L’amour sous le ciel de Paris. Mais à Paris je n’ai pas fait escale. Ni ailleurs.

Je suis restée. Ici c’était l’été méridional, pas l’été indien. Je portais pourtant une robe longue et mon allure ne se disloquait pas, éthérée, comme celle des aquarelles.

Les aquarelles de…

Nous serions partis. Sans regarder la vague qui s’échappe en arrière. Partis devant. Pour un siècle.

Pour cette éternité.

Je me suis assise. Au cœur d’août. Et j’ai voulu septembre.

Il suffisait de ne pas bouger. L’automne pointait son nez de clown rouge.

L’automne. Il y a un an. Comme aujourd’hui.

On aurait risqué. Saisir ce bonheur qui serait passé bien au-dessus de l’amer.

On aurait entendu. Des cors, des clairons, des trompettes.

Le saxophone. Une clarinette. Le chant des sirènes.

Aux couleurs de l’été, j’ai dédié le rien. Les bleus m’avaient brisée en un éclat. Pour rire. Les songs d’Apollinaire.

Aux ocres qui suivirent je dois le calme.

On retournerait. Quelqu’un jouerait du diable un Libertango délicieux. On retournerait. On se poserait face à la vague marine qui s’agace à la moindre secousse. On viserait le soleil mais on ne pourrait pas l’atteindre. Alors on serait paisibles, adoucis.

La touche on ?

Ou on ne retournerait pas. Si les choses ne se produisent jamais de la même façon. Ce qui n’est pas une certitude. Seulement une idée reçue.

J’ai voulu me rasseoir. À la caresse d’août. Je connaissais les langueurs de septembre.

Si vous saviez le temps, le temps qui passe, le temps qu’il fait. Le temps perdu et le temps retrouvé. Le temps gagné, aussi. Et le temps imparti.

Si vous saviez, vous éviteriez les robes d’aquarelle.

Mais vous ne savez pas. Qui sait ?

Qui sait…

D’un été à l’autre, on aura, on aurait, gagné la quiétude. Et c’est, ce serait, déjà ça.

Initiales

  J’écris. Un homme vient de loin dans mon histoire, dicte mes mots, commande mes phrases, au-delà de ma volonté.

Les femmes qui écrivent vivent dangereusement. Un livre, me fait prendre conscience de ce qui dirige une plume.

Tu es mon Barrage contre le Pacifique/ Les yeux verts/ L’amant/ Les yeux bleus, cheveux noirs/ L’amant de La Chine du Nord/ Écrire/ C’est tout.

Tu es mon syndrome Marguerite Duras.

Des mots cassés, classés, crachés, crashés, cachés, claqués, caftés. Caressés. Entre les virgules tu es cette Nouvelle Terrible, à peine terminée, déjà recommencée.

Des initiales. Je suis celle qui te voudrait en Nom Tactile, tu donnes un Non Tacite.

Deux lettres entre deux points. En majuscules.

Tu es ma Tour Nacre, Tableau Nouveau sans cesse, Nuage Tendre.

Le Temps Noué, le Nœud Tissé, tu ne te souviens pas je t’apprendrai, Nylon Tenseur, je ne veux pas perdre, écrire ensemble, prête-moi ta plume pour écrire. Ce clair de lune, est-ce Nid Torride, cette chair de plume, est-ce Nuit Ténue, une nuit courte, je ne dors pas, je t’écris, entre deux virgules la phrase refuse le point. Je suis de tout cœur dans ma phrase.

Un Numéro de Téléphone ?

Le mardi

  Le mardi c’est le jour du bord de mer. Le moment pour la mer et moi. Prendre le bleu et la houle ronde, l’écume volontaire, bouillon, qui flanche molle en bord de sable vieux. Ce n’est pas l’été. 

Le mardi c’est pour la mer et moi. Toute seule dans la voiture, mais si je veux, y a la radio et même les disques. À regarder le bleu. Au finir d’octobre c’est un bleu de turquoise, aux accents jaunes. Un bleu nord. L’indigo est parti dans l’horizon de juillet. Un peu loin déjà, en début de ciel. Bientôt il se peut que je n’en retienne la couleur. 

Je regarde cet homme aux cheveux blancs, mince. Il passe en rollers. Prudent mais sûr. Lent. Survêtement noir, genouillères discrètes. Élégant. 

Sur la plage il y a de la place. Une belle fille court à la limite de l’eau. Elle croise un autre homme aux cheveux blancs, son chien, sa femme. Cet homme se tourne, lève les yeux au ciel, regarde autour. Il admire la fille, je le sais aussi bien que sa femme… 

Le mardi, c’est pour la mer et moi…