Tableau avec des pommes

 

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On serait pas bien, là, détendus du gland et de la touffe ? Il ferait beau, ce serait juillet. Y aurait des pommes du pommier du jardin dans un grand saladier. Je serais en train de trier les fruits, comme les bourgeoises de campagne. Y en aurait des rouges, y en aurait des jaunes qui rougissent et puis des pas assez mûres, cueillies par erreur, à la va-vite. Je m’apprêterais à écarter les plus abîmées, pour les donner aux bêtes. Je les réserverais alors dans un autre récipient. Quelle belle journée ce serait ! Je serais tentée d’en croquer une et puis je ne sais pas trop pourquoi, je me garderais de le faire. Je me souviendrais du panier de Snow White, c’est sûr, ça calme quand on connaît un peu l’histoire. On ne se lasserait pas. La douceur du jour, le paysage bucolique. J’envisagerais, regardant mûrir les abricots et les nectarines de composer quelque compote. Il y aurait l’amabilité des chiens, la possibilité de me poser dans un bon livre. Tout serait changé. Même l’insecte piqueur en prince. Ce serait surprenant. Ce serait un jour chômé. On ne se dirait pas le fonds de nos pensées. Sans doute rêverait-on de sexe, d’une chambre douillette et de ses volets clos, du temps suspendu. On ne serait presque pas au bord de l’ignorance, de la faille sentimentale. On se souviendrait des blés qui renaissent malgré la coupe. On pourrait croire au regain. On serait gagné par une envie folle de ranger un peu la maison. Fêtant ce renouveau gourmand, nous mangerions d’abord une glace, un cône crémeux, croquant, chocolaté ou à la framboise. Il y aurait ce carton qui contient la plaque de cuisson neuve achetée il y a trois mois. Entre temps j’aurais oublié, ne faisant rien chauffer, évitant de recopier Cendrillon. Je demanderais alors : et si on la posait ? Il me serait répondu, faisant tout retomber comme un soufflé en quelques secondes, qu’on verrait plus tard, peut-être à la fin de la saison. Ce serait un jour de pièce de théâtre.

@alinetosca

La rhétorique des femmes qui sont dans la salle (2)

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Je n’ai rien à déclarer et je ne suis pas la seule. On a des choses à dire, à raconter, des anecdotes et des moments de vie parallèles, des trouvailles de supermarchés, des cafés entre amis face à la mer, face à la neige, face à l’immeuble ou à la rue, entre la vigne et l’olivier, sous le soleil sous le nuage, mais de déclaration, d’aveu, point. Tant pis pour cette phrase d’André Malraux : « Ce qui n’intéresse que moi n’intéresse personne », tant pis pour ce journal du rien, du si peu, du banal, de la digression. On parle du prix des avocats, des mangues, de la pluie et du beau temps, la météo voilà, on pourrait faire un livre sur la météo, mais pas celle de la télé ou de Météo France, non, un livre sur les météos personnelles. Ceux qui ont la neige, le givre et y a cinquante ans qu’on a pas eu un si gros manteau blanc, ceux qui montrent des baromètres qui affichent moins quinze et ceux du bord de mer, au sud, qui ont beau temps et le ciel si haut, si bleu, pas le ciel qui vous pose ses nuages sur votre nez. Le ciel qui épouse la mer et même si le vent décoiffe c’est un beau ciel. Parfois, sous le sceau de la confidence, on avoue un amant, on murmure une maîtresse bien plus belle que sa femme qui a grossi, s’empâte, ce n’est pas compliqué, pourtant, de faire un effort. Et cet amant baroudeur, sauvage, mystérieux, cultivé aussi, protecteur et amoureux, cet amant dont on rêve le soir, qu’on espère dans quelques jours, celui à qui l’on pense avant de s’endormir. L’amant comme une berceuse. La vie parallèle, c’est la part de joie conjugale qui a été perdue en route, c’est une façon d’appréhender son propre monde, c’est un secret, une impertinence. De cette impertinence on accepte de parler, on en raconte la magie. Qui s’intéresserait aux machines à laver, au linge du foyer ? Quel intérêt à dévoiler le couple qui ne baise, ne parle, ne débat ? Ce qui n’intéresse que moi ? On a abandonné la possibilité du regain. Inutile de déballer ou d’attendre, on a rien à déclarer. Au début pourtant il vous embrassait dans le cou, vous disait son amour. Et puis c’est parti, avec le temps et la jeunesse, c’est parti dans les bras et la chaleur des autres. Tous les efforts du monde, les suppliques, les cris, ne peuvent y changer rien. Le temps abime le désir, la hâte. Le temps calme l’ardeur ici et la ravive là, ou là. Se taisent les colères, les grognements, les envies. On perd le goût de l’autre sur qui on avait misé tout, sur qui on avait fait tapis. On renaît en dehors de chez soi et en dehors de soi. On s’ouvre pour des loisirs oubliés, retrouvés. Et aussi on revient à l’origine. Vous vous êtes remise à lire des romans photos.  Vous vous êtes souvenue que vous aviez le goût de la presse féminine et des romans à l’eau de rose. Aujourd’hui ça s’appelle la romance, un truc dans le genre. Mais vous n’aimez plus ça, en fait. Les romans guimauve vous ennuient, les romans tout court aussi, même ceux primés, reconnus, ceux des écrivains, ça vous ennuie. Voilà que ça rentre dans des genres, ça se colle une AOC, polar, fantasy, de société, certains se classent en sous-genres et pour le coup on est d’accord, ça fait aussi du sexe une composante d’excitation et quand vous lisez ça ne prend pas, parce que ça manque d’écriture, ça manque de sueur et de poils sous les aisselles. Dans votre culture familiale, y a Nous Deux, Confidences, Intimité. Des magazines achetés chaque semaine qui contenaient des récits vrais, des nouvelles romantiques, un peu de la vie des people et les fameuses fotonovelle. Les deux derniers avaient cessé leur activité. Dernièrement, en kiosque, vous avez eu cette surprise de retrouver Intimité. Vous ne l’avez pas acheté, déçue par Nous Deux que vous essayez quelquefois de lire mais le succès n’est pas au rendez-vous. N’a pas sa madeleine de Proust qui veut. Pour beaucoup de sujets, vous êtes devenue dilettante. S’en foutre, c’est gagner sa liberté.

@alinetosca, à suivre…

La rhétorique des femmes qui sont dans la salle (1)

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Mon cher mari, mon doux, mon tendre, je t’écris depuis ce confortable théâtre, j’ai une place de choix, dans les tous premiers rangs, les fauteuils rouges sont moelleux et larges, c’est bien, parce que nous ne sommes pas toutes des modèles de minceur et si tu savais cette douceur de la matière, on croirait de l’alcantara, c’est agréable surtout que les orateurs sur scène prennent le temps, expliquent avec force détails ces choses un peu mystérieuses comme l’énervement des femmes, l’intolérance dont souvent elles font preuve, ah les ingrates, car les hommes travaillent si dur et les maîtresses ce n’est rien, d’ailleurs ils n’en ont pas, ils sont le victimes de la convoitise des femmes et là, je regarde autour de moi et j’essaie mais c’est difficile, de déterminer dans cette assemblée attentive, silencieuse, exclusivement féminine, qui sont les épouses vertueuses et qui sont les prédatrices affamées, j’avoue, je ne sais pas, je vois des femmes, elles sont assises, elles se taisent, même les jeunes, elles affichent une sorte de dignité outrée mais je crois surtout que comme moi elles espèrent être l’élue à qui on donnera la parole à la fin, celle qui va grimper sur la scène et parler et être entendue par cet auditoire, celle qui pourra s’exprimer, dire aux autres, s’adresser à ces femmes qui portent sur le visage des questions, des histoires tues, de ces histoires pas faciles mais elles épargnent au monde entier d’avoir à les porter aussi, inutile de charger la mule et l’homme sur la scène, très sûr de soi, au discours impeccablement mené, bienveillant sais-tu, convaincu de ce qu’il avance, dis que nous, qui sommes face à lui, qui faisons front, prenons des amants à l’occasion, que les hommes se gardent de reprocher, alors je scrute les visages autour, derrière, certains ont changé d’expression, on lit la contrition, comment vont-elles s’acquitter pour les fautes, les trahisons, c’est émouvant l’expression généreuse de leur affection, la façon de porter le tendre fardeau, je leur dirais bien ma colère mais je n’exprime rien, je reste en apparence indifférente puisque je veux cette place et ce micro, être entendue, être écoutée, convaincre à mon tour, défaire chaque ligne écrite et lue par l’homme qui s’adresse à ces femmes, le contredire et avancer mes arguments qui ne sont pas seulement contenus dans mon charmant petit chemisier, c’est pourquoi je ne dis pas que la femme souffre et c’est pour cela qu’elle cherche d’autres bras, parce que ça lui fait comme une escapade à la campagne ou à la fête foraine, je me contiens donc et si je gagne à la sueur de ma patience, de l’attention que j’affiche et de la douceur  que j’exprime par ma tenue, assise bien droite dans le fauteuil, les jambes décroisées, cette place sur l’estrade, j’irai convaincre, séduire, émouvoir, à l’instar de lui qui te ressemble un peu, qui ressemble à tous les maris ou presque, je l’agacerai sans doute mais ça ne fait rien car je serai en place, (…)

@alinetosca mais cette phrase évidemment est loin d’être près de son point.